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CV
Textes
Olivier Shaw est un plasticien néo-aquitain né en 1997. Quelques mois avant de remettre
son mémoire, il renonce à la réécriture du tome 4 de Twilight. Olivier Shaw est un fan
français qui prononce tuilayt. Il ne valide pas les choix de Bella et aspire à donner au
produit de Stephanie Meyer la fin qu'il aurait voulu lire. Olivier Shaw est pour une union
avec Jacob, c'est dans cette perspective qu'il engage l'écriture du tome 4 de ses rêves.
Par ailleurs, Olivier Shaw aimerait amener la narration vers une dimension mondaine en
opérant une fusion avec son expérience personnelle sur le terrain de l'Art Contemporain.
L'ambition d'Olivier Shaw est d'amener Bella et Jacob à ouvrir une résidence d'écriture
pour jeunes poétesses dans la ville dont elle est originaire, El Papalote au sud de
Phoenix. Située en plein cœur de la réserve de Cactus, le lieu a vocation à devenir un
havre de création pour de jeunes filles en quête d'identité. La résidence, encrée dans une
logique de rayonnement du territoire et en partie subventionnée par la réserve et l'État
d'Arizona, donnerait une place à la voix des poétesses amérindiennes et rouvrirait le
dialogue social entre les différents publics. Olivier Shaw ne manque pas de proposition
pour agrémenter, augmenter et améliorer le récit de la vie de Bella.
Finalement, la réécriture du tome 4 de Twilight ne dépassera pas le stade de projet,
Olivier Shaw n'ira pas au bout de son idée. À la place, il présentera une vidéo-mémoire,
mélange d'interviews et montages 3D qui n'aura avoir en rien avec l'univers de Stephanie
Meyer. Pour son entourage, c'est le choc. Pourquoi Olivier Shaw a t-il renoncé à l'écriture
de la fin de Twilight ? Comment s'est-il heurté aux limites de la critique interventionniste ?*


Entretien

Nous retrouvons Olivier Shaw sur un banc en forme de coquillage aux abords du Pont
Neuf à Limoges. Il porte un tee-shirt Twilight : Bella a le côté de la tête posée sur le
torse d'Edward, Jacob, à l'arrière plan, fronce les sourcils. Le noir du tissus semble
délavé. Olivier l'a beaucoup porté nous dit-il.

Rédaction : D'où vient cette idée d'un mémoire sur Twilight ? Plus précisément, pourquoi
avoir choisi cette saga comme matériau ? Quelles étaient vos intentions ?

Olivier Shaw : La question n'est pas de savoir pourquoi, mais comment. C'était important
pour moi d'explorer un univers. Ce qui m'intéressait avec cet objet, c'est qu'il appartient
à une culture de masse, et les motifs qu'il utilise ne sont pas uniquement propre à
l'audiovisuel étasunien. Par exemple, l'amour, la lune, la nuit, la magie sont des symboles
que l'on retrouve dans beaucoup de cultures. Du fin fond de la Margeride et sa bête du
Gévaudan au Japon et ses vedettes de jpop. Au moment où j'ai entamé l'écriture de mon
mémoire, j'ai compris que cet univers se traduisait à l'échelle mondiale et que l'industrie
hollywoodienne du cinéma se l'était approprié. Dans ce projet, l'envie qui me travaillait
était de réfléchir à la fan fiction comme potentielle oeuvre contemporaine, de l'introduire
dans une pratique noble. L'idée c'était de relever un objet culturel ; de la valoriser à
travers le filtre de l'Art Contemporain. Finalement c'est une pratique que l'on retrouve
assez régulièrement dans le milieu, prendre un objet populaire et le faire glisser vers l'Art.

R : Comment avez-vous mis en place votre système d'écriture ?

OS : J'ai commencé par acheter un cahier Oxford, 192 pages, grands carreaux avec
marges. C'était dans une grande surface de la périphérie de Bordeaux. Je me suis dit que
Bella achetait ses fournitures scolaires dans ce type de magasin, malgré qu'on ne la voie
jamais faire ses courses dans les films. J'imaginais cela, parce que la réclame du cahier
Oxford met en scène une jeune fille collégienne mélancolique, à qui la sécurité n'aurait
jamais demandé d'ouvrir son sac à la sortie d'une grande surface. La publicité aussi utilise
cet univers pour vendre des cahiers et un imaginaire aux jeunes écolières. J'ai une
pratique du carnet dans ma démarche artistique, je fais des listes, des croquis, seul ou
non, avec des amis, artistes ou non, sur toutes sortes de supports papier. J'en ai toute
une collection chez moi. J'envisage un jour de produire une exposition autour de ces
carnets. Il était donc essentiel que je poursuivre mes recherches sur un cahier, Oxford m'a
paru le plus adéquat.

R : Avec ce cahier de supermarché, vous spéculez quelque chose de Bella. À quel point
vous êtes-vous transféré dans son personnage ? Avez-vous imité certains de ses
comportements ?

OS : Pour poursuivre mes recherches, j'ai vite compris qu'il fallait que je m'imprègne de la
vie de Bella. Je me suis procuré toutes les lectures qu'elle référence dans la saga. J'ai
déambulé dans Bordeaux pour tomber dans la boutique d'un bouquiniste, j'ai pu trouver
une traduction de Wuthering Heights d'Emily Brontë. Bella lit aussi Roméo et Juliette,
pour le coup on a tous cette référence chez soi. Bien que ça ne m'arrive jamais de ne pas
finir mes livres, je les ai abandonnés en cours de lecture.
R : Est-ce à moment que vous avez senti que votre démarche interventionniste sur
l'oeuvre de Stephanie Meyer allait peut-être se conclure par un échec ?
OS : Oui, clairement j'aimais l'univers dans lequel évoluait Bella, j'adorais en parler autour
de moi, à mes profs, avec mes amis. Ils trouvaient que l'idée avait du potentiel dans le
champ artistique. Mais le plus difficile était de se mettre à l'écriture et surtout de ne pas
imiter la plume de Stephanie Meyer. Justement, il fallait être malin et amener l'oeuvre
dans une sorte de contemporanéité ; produire une fan fiction estampillé d'Art
Contemporain. Devant l'ampleur du travail à accomplir, j'ai renoncé.
R : Que s'est-il passé ensuite ? Comment votre entourage a réagi ?
OS : Ce fut une grande déception pour eux. Non seulement je les avais embarqués dans
ma folle aventure, ils se sentaient vraiment impliqués. J'ai souffert de les avoir déçus. Il
faut dire que j'avais beaucoup produit autour de ce sujet. J'ai une pratique de la
pâtisserie artistique, j'avais donc élaboré un gâteau Hésitation, sorte de marbré, où la
pâtissière, Bella (moi) hésite entre vanille ou chocolat (Edward ou Jacob). J'ai supposé
que Bella aurait fait la partie chocolat avec du Nesquick. Nous avons mangé ce gâteau
entre amis et je dois avouer qu'il n'était vraiment pas bon. Finalement, Bella n'est peut-
être pas une bonne pâtissière.

R : Dans ce projet, la manière dont vous vous racontez vos histoires est quasiment le
moteur de votre pratique. Quelle est l'histoire du tee-shirt que vous portez aujourd'hui ?
OS : Philippe mon directeur de mémoire m'a offert le tee-shirt que je porte aujourd'hui,
malgré l'échec de l'écriture du tome 4, je continue de le mettre dans l'idée de capturer
des Bella dans ma journée. Ce tee-shirt a au moins le pouvoir d'attirer des fans de
Twilight sinon de produire des réactions chez les gens. Ces réactions m'intéressent. C'est
aussi une manière de recycler mon projet.

R : Qu'est ce qu'une Bella selon vous ?

OS : Une jeune fille blanche qui cherche l'amour. (sorte de Jena Lee américaine, ndlr)

R : Ne pensez-vous pas que votre projet autour de Twilight n'était qu'une manière pour
vous « d'amuser la galerie » ? Si nous comprenons bien, les limites de ce projet se sont
manifestées au moment où il fallait entamer une rédaction. Y aurait-il donc un lien entre
Edward Cullen qui brille à la lumière du Soleil et votre désir de briller en société grâce à
ce projet de critique interventionniste ?

OS : Selon moi, la limite de la critique interventionniste arrive lorsqu'on se met vraiment à
le faire. Tout allait bien jusqu'au moment où il fallait concrètement produire quelque
chose. Socialement mon projet marchait, les gens s'y impliquaient. Ils me partageait leurs
références, me donnait des contacts, etc. En revanche, je ne veux pas m'avancer pour les
autre personnes qui ont une pratique de critique interventionniste mais dans le champ de
l'art c'est tout de suite plus compliqué. Il faut jongler entre parodie, pastiche, influence et
appropriation. Il y a une grande attente de la part du public, l'artiste a le devoir d'amener
l'objet vers quelque chose d'inédit, sortir l'œuvre de sa zone de confort, l'interroger. Au
final, l'intention était là, mais le résultat n'était pas au rendez-vous. L'art conceptuel se
suffit des intentions et se fiche du résultat. Bref, je me suis heurté à la limite de la fan
fiction, il fallait savoir se laisser soi de côté et d'arriver à s'incorporer à l'œuvre d'une
autre, en l'occurence celle de Stephanie Meyer. Je n'étais pas prêt, je prends encore trop
de place dans ce que je produis bien que je mène aujourd'hui des projets en collectif. Il
faut arriver à soustraire l'œuvre de soi et de son auteure. Au bout du compte, j'ai
davantage aimé en parler avec les gens, que de me mettre sérieusement au travail. Alors
oui, on peut dire que ce qui m'a plu avec ce projet de critique interventionniste c'est qu'il
me fasse briller en société. Néanmoins, il faut retenir qu'avoir un projet de critique
interventionniste amène à faire des choses surprenantes, disons qu'elle est un moteur à
vivre des choses et prétexte des actions. Je pense que d'un point de vue thérapeutique,
la critique interventionniste peut être bénéfique. Pour ce projet, j'ai été convié à
participer à un voyage en Roumanie, sur les traces des vampires de Transylvanie. La
critique interventionniste permet d'être sur le terrain, dans l'action d'une œuvre en train
de se produire, c'est en cela que cette pratique est belle. Avec le recul que j'ai
aujourd'hui, je suis très heureux lorsque je pense à ce que la critique interventionniste
m'a fait faire. Il serait intéressant de réfléchir à comment la critique interventionniste peut
être motrice d'aventures.

Aujourd'hui, Olivier suit un post diplôme à l'ENSA de Limoges, il espère secrètement
reconquérir les tables de l'Élisée et reprendre le marché des sous-tasses que Sèvres, leur
plus gros concurrent a récupéré durant la dernière décennie. Il compte installer son
atelier et s'inscrire dans la scène artistique locale. En attendant son rêve, il réalise des
natures mortes en céramique.

Janvier 2021
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